PREFACE
Ceci est l'histoire d'un livre.
En 1862 j'habitais Saintes; je rédigeais le Courrier des Deux
Charentes, que j'y avais fondé.
J'avais pris fort à. cœur mes fonctions.
Pour me pénétrer des intérêts et des besoins
du pays, je parcourais, à mes heures de liberté, la Saintonge,
et je visitais assidûment les instituteurs laïques et congréganistes
des arrondissements de Saintes, de Saint-Jean-d'Angély, de Marennes,
de Rochefort et de Jonzac.
Nos conversations étaient longues mais toujours intéressantes;
et si j'ai conservé de précieuses amitiés dans cette
belle contrée, si j'y ai conquis des sympathies que rien n'a pu
altérer depuis, j'en fais remonter le mérite aux instituteurs
de la Charente-Inférieure, qui furent mes collaborateurs assidus
et dont les renseignements ne m'ont jamais permis de m'égarer.
Instituteurs laïques, instituteurs congréganistes, qu'ils
reçoivent mes remercîments, et, avec mes remercîments, la
dédicace de ce livre qu'ils m'ont donné l'idée
de faire.
Assis à leur foyer, ou me promenant avec eux, j'abordais souvent,
très-souvent , les questions d'instruction publique ; je m'intéressais à la
bibliothèque du professeur, ainsi qu'aux livres de classe des
enfants. Hélas ! si les livres sont peu nombreux sur les rayons
des maîtres de nos écoles primaires, ce n'est pas que les
maîtres les dédaignent : c'est qu'ils coûtent cher.
« J'ai bien acheté, me disait l'un d'eux, qui se faisait l'écho
de tous ses collègues, un dictionnaire d'histoire et de géographie;
il est bon; il me rend des services; j'ai oublié, et les miens aussi,
les privations qu'il a coûtées à la maisonnée. Mais
sa présence sur ma table me fait constater à chaque moment
qu'il lui manque plusieurs camarades : un dictionnaire des contemporains, un
dictionnaire de littérature, un dictionnaire scientifique, un dictionnaire
français un peu moins élémentaire que mon mémento de
poche, etc. etc. Total, au minimum 150 à 200 fr. à dépenser.
Je m'en passerai donc toute ma vie. »
En regagnant mes pénates, je réfléchis, ce jour-là,
un peu plus encore que d'habitude.
Quelques semaines après, je revoyais ces mêmes amis, et
je leur disais :
« J'ai mûrement pensé à notre dernière conversation.
Je veux faire un livre qui soit le résumé, aussi complet que
possible, des connaissances usuelles de notre temps. Ce livre, que je nommerais
L'ENCYCLOPÉDIE POPULAIRE,
donnerait des notions largement suffisantes sur : l'orthographe, la grammaire; la biographie
ancienne et contemporaine (celle-ci jusqu'à l'heure
de la mise en vente du volume) ; l'histoire, jusqu'à l'événement
de la veille ; la géographie, jusqu'aux découvertes
du jour ; l' antiquité, la mythologie ; l' art et
l' architecture ; la technologie, la physique, la chimie,
la géologie, l'astronomie, la topographie, l'algèbre, l'arithmétique
; la botanique, l'agriculture ;
l'économie politique, le droit administratif et
le droit usuel; la médecine,
l'hygiène; la marine, Y armée et ce qui
s'y rapporte ; sur tout ce qui intéresse, en un
mot, l'homme, quelle que soit sa position.
« Eh bien ! croyez-vous qu'un tel livre, qui aurait de 2000 à 2400
pages, qui coûterait de 30 à 40 fr., qui serait, à l'ensemble
de tous les Dictionnaires connus, ce que les dictionnaires
de poche sont aux grands ouvrages qu'ils résument, mais qui aurait son
caractère propre d'originalité, une rédaction nouvelle
et quantité de choses inédites, serait appelé à quelque
succès? »
La réponse fut unanime.
« Oui, me dirent-ils; ce livre manque. Il est appelé à devenir
le vade-mecum non-seulement des instituteurs, mais aussi de
tout ce qui lit, écrit, travaille..., sans compter les gens
du monde, qui seront enchantés d'avoir là, à leur
disposition, les sciences et les lettres groupées en un seul
faisceau. »
Le soir même j'étais à l'œuvre.
J'abordai successivement, en m'entourant des documents les plus récents
et des livres les meilleurs, l'histoire, la géographie, la biographie ancienne et actuelle, la mythologie. La
partie littéraire de l'ouvrage avançait, mais tout ce
qui regardait les sciences demeurait en arrière. Je me sentais
impuissant à réaliser cette large fraction de mon programme.
Allait-il falloir abandonner cent mille lignes déjà écrites?
Avais-je perdu dix années de ma vie ?
La Providence, — une providence qui ne veut pas être nommée, — me
vint en aide. Grâce à elle, je pus réunir les collaborateurs,
qui aussitôt se mirent au travail.
Leurs noms figurent en tête de cet ouvrage.
Je ne saurais assez les remercier tous de leur concours précieux,
actif, intelligent au suprême degré.
Dix-huit mois après les avoir groupés, ils m'avaient
remis leur manuscrit complet.
L'Encyclopédie populaire était achevée !
Elle était renfermée dans vingt-cinq boîtes contenant
plus de soixante mille fiches, rangées par ordre alphabétique.
Les matériaux étaient à pied d'oeuvre; mais comment élever
l'édifice?
Je proposai à MM. Poussielgue frères de se charger de
ce soin.
Après avoir fait examiner le manuscrit par une commission d'hommes
compétents, ils consentirent à éditer le livre et
en confièrent l'impression à la maison Mame, de Tours.
Au mois de mai 1877, je reçus la première épreuve de
I'Encyclopédie populaire; j'ai donné le dernier bon à tirer
le 30 septembre 1880.
La correction et la mise au point du livre ont donc duré trois
ans et demi d'un labeur ininterrompu : l'achèvement complet de
l'œuvre avait exigé dix-huit ans !
Je tiens à rendre ici un hommage tout particulier à M.
Gatien Poüan, qui, pendant quarante - deux mois, a été mon
collaborateur assidu de tous les jours, corrigeant, à mes côtés,
avec une intelligence rare, doublée d'un savoir réel, les épreuves
de I'Encyclopédie populaire.
Nous avons revu un à un les vingt millions de lettres, les deux
cent mille dates, et les quatre-vingt-dix mille mots dont
se compose ce livre.
Des erreurs se sont évidemment glissées dans ces colonnes
: en pouvait-il être autrement?
Nous en avons relevé déjà quelques-unes.
II appartient à nos lecteurs de nous signaler toutes celles qu'ils
constateront : il sera tenu compte de leurs observations dans les éditions
suivantes.
Et si tous ceux qui nous achèteront consentent ainsi à devenir
nos collaborateurs, l'Encyclopédie populaire, sans cesse améliorée,
corrigée, revue, est appelée à être le livre
le plus complet qui soit, et dont les documents feront foi.
Mais elle fournit dès aujourd'hui un tel ensemble de renseignements
sévèrement contrôlés, allant jusqu'au 30
septembre 1880 , que je puis espérer pour l'ouvrage complet
le succès qui, déjà, a accueilli sa vente successive
par fascicules et par séries.
Nous appelons tout particulièrement l'attention de nos lecteurs
sur la biographie contemporaine ; sur la géographie
actuelle, écrite d'après les données des derniers
voyageurs anglais, français, portugais, américains, autrichiens,
italiens et russes, et les Bulletins de la Société de
géographie de France; sur l'histoire, complètement
inédite, des vaisseaux célèbres, qui est
de nature à intéresser tout ce qui touche à la
flotte ; sur la partie militaire du livre, rédigée d'après
les indications du Bulletin de la réunion des officiers, et
enfin sur Y histoire de nos jours : l'histoire de France est,
en effet, menée jusqu'au 14 juillet 1880, et l'histoire de
la Turquie, jusqu'à la démonstration navale des puissances
signataires du traité de Berlin devant Dulcigno.
Paris, 30 septembre 1880.
Pierre CONIL
|