Hussein-Dey, dernier dey d’Alger,
est un vieillard honnête homme, doué de beaucoup d’esprit naturel et d’une capacité remarquable. — Son gouvernement se distingua par l’ordre, la douceur et la probité. Mais il avait de l’entêtement : comme Charles X, une fatalité irrésistible l’a entraîné à sa ruine. Il ne parait pas, s’il faut en croire son récit, que, dans sa discussion avec le consul dont la France a dû embrasser la querelle, tous les torts aient été de son côté. Voici comment il l’a racontée lui-même à M. Jal, qui, dans un écrit fort intéressant, nous en a transmis les détails.
« Deval s’était bien mis dans mon esprit ; il était adroit, insinuant; je ne me défiais point de lui. Il était gai, et me plaisait pour cela. Je crus à la sincérité de son affection pour moi. II devint très familier, parce que je le traitais en ami ; et j’ai su depuis, par quelques-uns de mes officiers, qu’on disait généralement au sérail qu’une pareille intimité avec un homme de son espèce ne pouvait manquer d’avoir une mauvaise conclusion. Vers la fin du ramadan, Deval, que je commençais à aimer moins, parce qu’il me parlait souvent mal de son souverain, et que je pouvais craindre qu’il ne lui parlât mal aussi de moi, Deval vint me faire la visite officielle d’usage. Je me plaignis à lui de n’avoir pas de réponse à quatre lettres écrites par moi au roi de France. Il me répondit (le croiriez-vous ?) : « Le roi a bien autre chose à faire que d’écrire à un homme comme toi! » Cette réponse grossière me surprit. L’amitié ne donne pas le droit d’être impoli : j’étais un vieillard qu’on devait respecter, et puis j’étais dey. Je fis observer à Deval qu’il s’oubliait étrangement. Il continua à me tenir des propos durs et méséans. Je voulus lui imposer silence ; il persista. « Sortez, malheureux ! » Deval ne bougea pas; il me brava en restant, et ce fut au point que, hors de moi, je lui donnai, en signe de mépris, de mon chasse-mouches au visage, Voici l’exacte vérité. »
— Hussein vit maintenant retiré à Livourne. Il eut été plus généreux et plus prudent de la part du gouvernement français de lui accorder l’autorisation qu’il demandait de se fixer en France.
— Avant de parvenir à la suprême dignité, Hussein avait passé par tous les grades; il avait été simple janissaire.
— Il avait une éloquence vive, originale, abondante en figures. Voulant peindre la haine qui sépare les habitants de Tunis et d’Alger, haine instinctive, profonde, enracinée, pareille à celle des Portugais pour les Espagnols, et que l’imprévoyance impolitique de l’administration française ne respecte pas assez, il s’exprimait ainsi, à Paris, en 1831 : « Faites bouillir dans une chaudière un Algérien et un Tunisien; laissez reposer, et ils se sépareront. »
Un moraliste du XVIIe siècle et un chimiste du XIXe n’auraient pas dit mieux.
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Extrait d'un article de 1831 d'Abel Hugo (le frère de Victor Hugo)