PAUL BOURGET: Né à Amiens en 1852. Débuta, ainsi qu'il nous l'apprend dans une lettre récente, au journal la « Renaissance ». puis à la « République des lettres ». — Principaux ouvrages: « Essais de psychologie », « Cruelle énigme », « Mensonges », « Terre promise », « Cosmopolis ». — Nous donnons comme autographe un feuillet du manuscrit de « Terre promise » avec la transcription en regard.
Autographe: ............Il était entièrement remis de cette
première panique affolée qui avait déconcerté en lui toutes les jouissances raisonneuses, et, sitôt rentré dans sa chambre, il s'était retrouvé capable d'une lucidité froide vis-à-vis de complications probables que la présence de madame Raffraye, introduisait dans sa vie. Il avait eu le bon sens de se dire qu'après tout, elle pouvait n'être arrivée à Palerme et au Continental, que par hasard. De telles rencontres se produisent, pour rares qu'elles soient, et de plus étranges. Il y avait donc trois cas à examiner: ou bien Pauline était venue avec intention et pour lui faire du mal, ou bien elle était venue sans intention, mais une fois qu'elle apprendrait sa présence à lui et son bonheur, le démon de la rancune et de la vengeance la pousserait à quelque perfide démarche, ou bien, enfin, cette nouvelle la laisserait indifférente, parce qu'il était réellement oublié d'elle. C'était une chose à savoir tout de suite. Il parerait le coup si elle se disposait à le frapper comme elle pouvait le faire, en torturant sa chère fiancée par une confidence hypocrite ou des lettres montrées. Si au contraire, ce dangereux voisinage devait être absolument inoffensif, une fois certain de cette innocuité, il n'y penserait même plus. Mais comment acquérir cette certitude sans une explication ? C'est alors, et précisément parce que la perspective de cette explication lui était trop douloureuse que Francis avait conçu l'idée de la démarche la plus étrange, la plus hardie aussi et la plus capable de poser tout de suite les relations forcées que lui imposait la présence de madame Raffraye sur leur vrai terrain. Il s'était décidé à lui écrire. Que risquait-il ? En revanche, il y gagnerait non seulement d'être fixé lui-même sur Pauline, mais de la fixer, elle, sur son pouvoir si elle s'imaginait qu'elle en conservait sur lui. Il y avait encore, dans l'espèce de fièvre d'action que prouvait cette démarche, un autre secret besoin qu'il ne s'avouait pas, celui de se convaincre que les troubles d'incertitude qui avaient grondé autrefois en lui à la pensée de la petite fille de madame Raffraye, n'existaient plus....
Paul Bourget.
Fragment du manuscrit « Terre promise ».