S. M. Taïtou
IMPÉRATRICE d'ABYSSINIE
Les événements d'Abyssinie ont une telle importance d'actualité qu'après le portrait de Ménélik nous avons cru devoir donner celui de sa femme, l'impératrice Taïtou.
Je n'ai malheureusement pas eu l'honneur d'être présenté à Sa Majesté; aussi le mieux me paraît-il être d'emprunter quelques détails à mon jeune ami Gaston Vanderheym, qui obtint l'insigne faveur de la photographier, et publie en ce moment une relation aussi exacte que curieuse de son voyage au pays du négus.
» Ménélik a dû être dur et cruel pour arriver à étendre son empire comme il l'a fait; mais le temps est loin où, ayant aperçu la femme d'un de ses généraux, le Cagnasmatch Zekargatcho, et la trouvant à son goût, il la fît enlever, puis ordonna de mettre aux fers son mari, qui mourut peu après assassiné. Il l'épousa et en fît l'impératrice actuelle Taïtou, répudiant sa première femme Bafana.
» Celle-ci, au reste, était connue pour sa cruauté. D'une famille de lépreux et sentant le mal héréditaire la gagner, elle faisait chercher dans le pays des enfants sains de corps, exempts de maladies ou de cicatrices, — leurs oreilles ne devaient même pas être percées, — pour les tuer et s'asperger de leur sang, ou bien elle leur faisait couper la main, qu'elle gardait près d'elle dans un panier comme fétiche. Les parents marquaient leurs enfants au fer rouge pour les soustraire aux griffes de la reine. De là viennent les nombreuses cicatrices et les oreilles percées qu'ont presque tous les Abyssins. Mais Bafana aimait les Européens, tandis que l'impératrice Taïtou ne peut les sentir.
«L'impératrice sort rarement; son cortège est fort nombreux. Elle est montée sur un mulet, à califourchon, ainsi que les femmes de sa suite. Sa tête est voilée de tissus de mousseline qui cachent sa figure, que bien peu de personnes ont pu voir, car, par ordre, le vide se fait comme par enchantement partout où elle doit passer.
» Je fus un des privilégiés. Sa Majesté m'ayant fait prier de venir la photographier, je passai une matinée fort intéressante à faire poser l'impératrice Taïtou, les princesses et les dames de la cour, qui avaient revêtu leurs plus beaux atours; mais je goûtai peu le déjeuner que Sa Majesté fit servir à son photographe. Je crois que pour me remercier on avait doublé ce jour-là la dose de poivre de berberi !
» Le teint de l'impératrice est clair et paraît d'autant moins foncé que les dames d'honneur sont choisies parmi les plus noires de l'empire. L'impératrice a ses gens à elle, ses officiers de service, ses femmes et sa cassette particulière; les frais de nourriture au palais sont payés alternativement une semaine par l'empereur et une semaine par l'impératrice. »
Cet article, placé dans le corps de l'hebdomadaire, commentait cette photographie publiée en première page.