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Les Chansons de Beaumarchais

Titre du 7ème volume des oeuvres complètes de Beaumarchais - Reproduction © Norbert Pousseur


 

LA GALERIE DES FEMMES DU SIÈCLE .......
PASSÉ

Vaudeville

Sur l'air de la contredanse du Ballet des Pierrots.

REFRAIN.

Oser tout dire, oser tout faire,
C'est le bon siècle d'à présent ;
Mais blâmer n'est pas mon affaire :
Rions ; moi je suis né plaisant

1er couplet.

Faut-il toujours d'un fade éloge
Bercer le sexe en nos chansons ?
Tout n'est qu'un plat martyrologe
De Tircis et de Céladons ;
Quittons de l'ariette imbécile
Le jargon trop accrédité ;
Ramenons l'ancien vaudeville,
Qui dit gaîment la vérité.
Oser tout dire, oser tout faire, etc.

2.

Traitons, sans méthode suivie,
Quelque point joyeux et moral ;
Toujours le même style ennuie,
Eût-on la plume de Pascal.
Chantons les belles, leurs maximes,
Galants forfaits, goûts délicats ;
Et quant à leurs vertus sublimes,
Lisons beaucoup monsieur Thomas.

3.

Je vois ce grand panégyriste
Couvert de baisers et de fleurs ;
Et moi, trop badin coloriste,
L'éternel objet des rigueurs.
Qui le craindrait ne connaît guère
Ce sexe et ses retours flatteurs ;
L'art de provoquer sa colère
Conduit souvent à ses faveurs.

4.

Rose, timide, tendre et bonne,
Reçoit son amant dans ses bras ;
L'amant admire, et ma friponne
Devient vaine de ses appas :
N'est-il donc qu'un bon juge au monde ?
Dit-elle envahissant l'Amour.
Rose fait si bien qu'à la ronde
Chaque homme l'admire à son tour.

5.

Au sortir de l'Académie,
Le cœur gonflé de sentiments,
On maudirait sa douce amie
Au seul soupçon d'un autre amant !
N'est-il pas plaisant qu'on prétende
Etre aimé seul, et le dernier,
Parce qu'une femme est friande
Des premiers feux d'un écolier ?

6.

Tant de larmes pour une belle,
Jeune homme, est bien loin de nos mœurs !
Rose a changé, changez comme elle :
Elle est volage .................... aimez ailleurs.
Nos dames ne sont point cruelles ;
Une obligeante urbanité
Tient lieu d'amour et fait chez elles
Les honneurs de la chasteté.

7.

D'un lien ôter l'importance,
Jouir de tout, voilà leur mot :
Aux yeux des femmes la constance
Est presque l'affiche d'un sot ;
On vous courait, on vous évite,
D'un autre on a les sens épris ;
Et qu'importe que l'on nous quitte !
Le grand objet c'est d'être pris.

8.

Dès qu'un jeune homme s'achalande,
La coquette veut l'asservir ;
Pendant que la prude marchande
La galante court s'en saisir.
Au lieu d'un temple où l'Amour brille
Cythère aujourd'hui n'est qu'un bois
Où sans pudeur on vole, on pille
Comme aux finances de nos rois.

9.

Ici la fermière opulente
Défraye un galant de la cour ;
Plus loin, la marquise indigente
S'affuble d'un financier lourd.
La noble vend, la riche achète...........
O temps ! ô mœurs ! Amour n'est plus
Toute femme adore en cachette
Le dieu de Lampsaque ou Plutus.

10.

DISTINGUONS la fille ingénue
De la femme au hardi maintien :
L'une a tout notre sexe en vue,
L'autre ignore même le sien ;
L'une ne rougit pas encore,
L'autre ne sait plus qu'on rougît ;
L'une nous peint la douce aurore,
L'autre un jour ardent qui finit.

11.

Un goût s'éteint, un autre perce,
Pendant qu'un troisième a son cours ;
Joignez les paris de traverse........
Voilà les femmes de nos jours.
J'en connais même une si tendre,
Si délicate dans ses choix,
Qu'elle fait scrupule de prendre
Moins de quatre amants à la fois.

12.

J'en sais une autre plus sensée,
Qui ne s'effarouche de rien ;
Un soir une foule empressée.
Voulut déranger son maintien ;
Sans étonnement, sans surprise,
Elle s'adresse au cercle entier :
Messieurs, sommes-nous dans l'église ?
Me prend-on pour un bénitier ?

13.

Les femmes sur leur contenance
Ont le plus absolu pouvoir ;
On porte au cercle une décence
Qu'on méprise dans le boudoir.
C'est là qu'on donne et prend le change
Sur l'amour et la volupté ;
Là tout plaît, pourvu qu'on s'y venge
Des ennuis de l'honnêteté.

14.

Dans cet oubli de la nature,
Au fort de ses galants ébats,
Si l'on voit rentrer la voiture
De l'époux qu'on n'attendait pas,
Eteignez vite ; on range, on serre ;
L'une est morte, l'autre s'enfuit.
Ainsi l'on voit un commissaire
Effrayer des tendrons la nuit.

15.

Mais que les fêtes sont cruelles !
Vieux époux, je plains votre sort
Si vous y conduisez vos belles ;
Les confier.................... c'est pis encor.
La poule alerte, aisée à vivre,
Perce la foule en arrivant ;
Le coq usé, qui ne peut suivre,
Gratte sa tête en l'attendant.

16.

Aux cris que le vieux singe élève,
On la lui rend tout comme elle est ;
Tout comme elle est il vous l'enlève
Aux vœux ardents de vingt plumets,
Plus ravissante qu'Aphrodise,
Traînant tout le bal après soi,
Lui coiffé comme on peint Moyse
Chargé des tables de la loi.

17.

Voyez cette dévote altière,
Au teint pâle, au front sourcilleux,
Déchirer la nature entière
D'un ton humblement orgueilleux ;
Bien est-il vrai que plus parfaite,
Fuyant le monde et ses attraits,
Elle ne brûle, en sa retraite,
Que pour Dieu seul.................... et son laquais.

18.

Du même désir animées
De tromper amants et maris,
Deux belles s'étaient tant aimées,
Qu'on les citait dans tout Paris :
Un fat survient : elles s'abhorrent :
L'intérêt rompt ce qu'il a joint.
Ma foi, deux belles qui s'adorent,
Tout bien compté ne s'aiment point.

19.

Chez une duchesse en colère,
L'autre soir un mauvais plaisant
Disait d'une voix de faux frère :
L'auteur est un grand médisant :
Médisant, lui ? c'est cent fois pire.
Pensez-vous qu'un tel chansonnier
Se fût contenté de médire,
S il eût pu nous calomnier ?

20.

Point de belles que l'on n'acquière
Ou par de l'or ou par des soins ;
La moindre ou la meilleure affaire
Coûte toujours, c'est plus, c'est moins ;
Et quant aux mœurs, la différence
Des filles aux femmes d'honneur,
Est celle qu'on remarque en France
Entre l'artiste et l'amateur.

21.

Oh ! si chacune osait écrire
Les bons tours qu'elle se permet,
Quel plaisir on aurait à lire
Cet ouvrage utile et follet !
On y verrait du gai, du leste ;
Pour du sentiment, serviteur !
Car la femme la plus modeste
N'est qu'un vrai page au fond du cœur.

22.

Vous changeriez bien de système,
Me dit un Céladon d'amant,
Si je nommais celle que j'aime............
Ah ! c'est une âme, un sentiment !
C'est la vertu la plus auguste.......
Je reconnais son pavillon :
La friponne s'est peinte en buste ;
Tu n'as vu que son médaillon.

23.

Vous, jeune homme que je conseille,
Gardez-vous bien de me citer ;
Ce que je vous dis à l'oreille
Ne doit jamais se répéter.
Retenez ce bon mot d'un sage,
Des mœurs il est le grand secret :
Toute femme vaut un hommage ;
Bien peu sont dignes d'un regret,

24.

Pour égayer ma poésie,
Au hasard j'assemble des traits ;
J'en fais, peintre de fantaisie,
Des tableaux, jamais des portraits.
La femme d'esprit qui s'en moque
Sourit finement à l'auteur ;
Pour l'imprudente qui s'en choque,
Sa colère est son délateur.

25.

Sexe charmant, si je décèle
Votre cœur en proie au désir,
Souvent à l'amour infidèle,
Mais toujours fidèle au plaisir,
D'un badinage, ô mes déesses !
Ne cherchez point à vous venger :
Tel glose, hélas ! sur vos faiblesses,
Qui brûle de les partager !

 

 

 


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