Nous sommes arrivés au moment où la mode est trop riche, elle étale avec profusion ses plus séduisantes parures, et fait admirablement valoir ses charmants interprètes.
On danse à la Chaussée-d’Antin et au faubourg St-Honoré; on danse au profit des Polonais dans le magnifique hôtel Lambert, et cela a été une heureuse et bonne pensée que de spéculer sur la magie des souvenirs pour attirer la foule au profit des malheureux. Comme les toilettes paraissaient jolies sous ces lambris dorés ? Que toutes les fleurs étaient fraîches et se confondaient bien avec les brillantes peintures de Lebrun, de Watteau et de Boucher !
Les étoffes riches étaient en majorité ; le damas à fleurs, le satin, le velours épinglé composaient de charmantes parures, un peu sérieuses peut-être. Les corsages à pointes, les jupes de velours ouvertes sur tablier de satin blanc, les riches dentelles à dessins anciens, ce somptueux logis, tout enfin reportait la pensée sur le passé ; moins pourtant les habits d’hommes, qui, par leur tristesse et leur mesquine simplicité, venaient nous rappeler à la réalité du présent.
Une robe rose glacé de blanc avait pour garniture de longues barbes de dentelle assez larges posées devant en s’élargissant vers le bas et retenues en tournant par un nœud de ruban ; d’autres barbes ornaient le corsage formant berthe derrière et draperie par-devant, les deux bouts retombant sur la pointe du corsage; un petit bord en velours épinglé rose orné d’une plume saule nouée en marabout complétait l’ensemble de cette parure, d’un effet charmant. Et puis c’étaient des turbans, des résilles, des torsades de velours brodé d'or autour de la natte, enfin une si grande variété que les yeux se fatiguaient à Ions ces brillants rayons.
Les robes sont encore moins bouffantes qu’au commencement de la saison; elles n’ont pourtant pas moins d’ampleur, mais on a supprimé les sous-jupes crinoline : telles quelles sont maintenant, c’est bien, très bien, il ne faudrait pas exagérer cette mode ; car nous arriverions à l’à-plat complet des robes du temps de l’empire, ce qui serait, au point de vue du goût, un véritable malheur.
Pour ces premiers beaux soleils de février, les chapeaux de velours sont un peu lourds ; on les remplace par des capotes de satin sur lesquelles on met de la blonde ou de la dentelle, la dentelle surtout reprend sur les chapeaux une place qu’elle a déjà occupée sans partage : un rang d’angleterre autour de la calotte, une voilette qui encadre si avantageusement le visage ne sauraient être abandonnés longtemps; ce sont des amis qu’on a négligés par caprice et qu’on retrouve avec joie.
Avec une de ces capotes, une robe de reps ou de pekin saline garnie de rubans, un grand châle de cachemire qui enveloppe presque entièrement, nous paraissent la plus jolie et la plus aristocratique parure.
Maintenant que toutes les robes du soir se font à taille juste et allongée en pointe, que les jupes sont moins bouffantes, le corset est devenu un objet d’étude ; autrefois le corset était droit, on y était dans une espèce de prison, on souffrait pour être belle et on ne l'était pas.
Plusieurs améliorations furent apportées ; d’abord on supprima les épaulettes qui gênaient les mouvements des bras. M. Pousse fut le premier à faire des corsets sans épaulettes et qui se délacent instantanément; mais il ne s’en tint pas là, et les corsets, on doit le dire, eurent une salutaire influence sur la santé des femmes. Depuis, son successeur, M. Gamboy, a su apporter ce tact et cette finesse des détails qui n’appartient qu’aux femmes pour tout ce qui concerne la toilette. Nous ne sachons pas de corset donnant plus de souplesse et convenant mieux à la grande parure que ses corps en soie; les demi-corps en coutil rendent la taille mince et souple comme un roseau ; ses corsets du matin sont d’une simplicité, d’un sans-gêne ravissant; aussi les mères, qui ne sauraient prendre trop de précaution lorsqu’il s’agit de la santé si délicate des jeunes personnes, doivent-elles s'adressera M Gambey. La femme du monde trouvera aussi chez lui des corsets convenant à chaque costume, elle pourra se pencher, tourner sa jolie taille, en un mot avoir toutes les grâces sans prétention, sans raideur, telles qu'on les veut aujourd’hui.
On peut juger par l’activité de la maison de commission Lasalle que bals et fêtes se donnent à l'étranger et dans nos provinces aussi bien qu’à Paris : robes de bal, bijoux, fleurs, costumes de caractère pour les bals déguisés, se succèdent avec rapidité. Nous avons remarqué, au milieu de ses nombreux envois, un délicieux costume Pompadour, composé d’une robe de satin blanc garnie de deux hauts volants d’angleterre ; une jupe de satin rose bordée de dentelle, ouverte devant, était relevée de chaque côté par des bouquets de roses; un petit chapeau en paille de riz, orné d’une couronne de roses, donnait à ce costume la grâce un peu apprêtée des bergères de Watteau. A côté, un costume de bonne paysanne normande formait un piquant contraste par sa simplicité rustique.
Cachemires des Indes. — L’entrée en France des premiers châles de l’Inde remonte à l’époque de la glorieuse campagne d’Égypte ; les premiers cachemires furent envoyés à madame Bonaparte par son mari, après ses premières victoires et son entrée au Caire. Ces premiers tissus furent de suite adoptés par la mode, mais ils ne furent longtemps abordables que pour les plus grandes fortunes ; les autres durent se contenter des imitations d’abord imparfaites, puis fort belles, qui en furent faites par notre industrie nationale. Depuis lors des relations commerciales se sont établies directement avec les contrées où prit naissance la fabrication des châles cachemires et où se conserve toujours le monopole de cette magnifique fabrication ; à Paris un assez grand nombre de magasins s’établirent successivement pour s’adonner au commerce spécial des châles de l’Inde, puis ce magnifique article fut adopté par quelques grandes maisons de nouveautés et avec quelque succès. Mais jusqu’ici la vente des cachemires avait toujours conservé quelque chose d’irrégulier : leur prix restait problématique pour l’acheteur, dont l’inexpérience était souvent exploitée; on payait trop cher généralement.
Depuis quelque temps les choses se sont considérablement améliorées; une maison, dont le grand succès s’explique par sa grande loyauté autant que par ses immenses assortiments, la Ville de Paris, a moralisé le commerce des cachemires de l’Inde : ici point de prix surenchéri d’après la tournure de l’acheteur ou le luxe de l’équipage qui l’a amené. A la Ville de Paris, tout est marqué en chiffres connus : — l'acheteur lit lui-même le prix écrit sur chaque châle, et sur tous les châles sans exception ; on ne surfait point, donc point de rabais, point d’escompte, qui n’est qu’une manière déguisée de diminuer après avoir surfait. — Après achat, après payement et nouvel examen chez soi, on peut rapporter son cachemire à la Ville de Paris, on vous le rembourse si vous le désirez; ou, si vous l’aimez mieux, l’assortiment le plus riche est soumis de nouveau à votre choix, sans que vous ayez à craindre de payer plus cher, puisque les prix sont là, toujours là, sur tous les châles sans exception.
On ne saurait trop applaudir à cette manière neuve de traiter les affaires ; elle honore la maison qui la première a su l’employer.
Loménie de V.
Extrait des Modes parisienne, du 21 janvier 1844