RENÉ D'ANJOU
CHAPITRE I (suite 5)
LA RUE BARBETTE
Le duc de Bourbon et, après lui, le roi de
Sicile et
le duc de Berry allèrent à Melun pour engager
le duc d'Orléans à cesser ses armements et à laisser
revenir la reine. Leurs prières, leurs sages remontrances
demeurèrent inutiles. Il fallut alors s'apprêter à combattre.
Le
duc d'Orléans, à la tête des troupes que lui
avait fournies le duc de Lorraine, et auxquelles étaient venus
se joindre les hommes d'armes du marquis de Pont, du comte
de Clermont, du comte d'Armagnac, du sire de Beaumanoir, du sire de
Châtellerault et de quelques autres encore, s'avança sur
Paris, passa la Seine et prit position à Charenton. Le duc de
Bourgogne disposa ses forces du côté d'Argenteuil et de
Montfaucon. Ainsi les champions se trouvaient en présence,
arborant sur leurs bannières, l'un son Baton noueux,
l'autre son Rabot symbolique, se mesurant de l'œil, et
n'attendant qu'un prétexte pour en venir aux mains.
Mais Dieu ne permit pas que la bataille fût livrée. Le chancelier,
le parlement, les magistrats se rendirent chez le roi de Sicile, à son
hôtel d'Anjou, et renouvelèrent leurs supplications aux princes
pour qu'ils eussent à prévenir la guerre par une dernière
démarche, par un suprême effort. Sans doute leur intervention eût
encore échoué ; mais la disette commençant à sévir
contre les troupes du duc d'Orléans, celui-ci se montra moins dur aux
propositions conciliatrices et consentit à congédier ses gens
d'armes. De son côté Jean Sans-Peur remit l'épée
au fourreau. De cette façon la famine empêcha la guerre, et de grandes
catastrophes furent momentanément ajournées.
Le raccommodement des
deux princes parut sincère. Ils se montrèrent au peuple et se donnèrent
des marques non équivoques d'amitié. Le soir, chez
leur oncle, ils s'embrassèrent, et le duc de Berry exigea
qu'en signe certain de réconciliation, ils couchassent dans
le même lit.
Dès ce moment ils se partagèrent
les soins du gouvernement et régentèrent la France
en commun. Toutefois le
duc Jean de Bourgogne, retrouvant par moment la violence de
son caractère, s'emportait contre les empiétements
du duc d'Orléans, et celui-ci, doué d'une parole
flatteuse et persuasive, ne négligeait aucune occasion d'attirer à lui
les partisans les plus zélés du duc de Bourgogne. Lorsqu'il
ne pouvait parvenir à les séduire, il les persécutait.
Ce fut ainsi qu'il priva de son emploi un gentilhomme normand, nommé Raoul
d'Ocquetonville, à qui la protection du duc de Bourgogne avait
valu le titre de général des finances. Cet homme, se
voyant disgracié, résolut de se venger; et, aidé de
deux de ses amis, les sieurs Scas et Guillaume de Courte-Hense (dont
l'un était valet de chambre du roi), il se mit en quête
d'une maison dans le quartier Saint-Paul, afin de pouvoir s'y
cacher au besoin et y cacher des armes, il trouva cette maison près
de la porte Barbette, dans la Vieille-rue-du-Temple ; elle portait
pour enseigne l'Image Notre-Dame. Il la loua tout entière
pour six mois, et acquitta, en y entrant, le prix de son loyer, qui était
de seize écus.
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