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Leclerc (Georges-Louis), comte! de Buffon, naquit à Montbard en Bourgogne ( Côte-d’or), le 7 septembre 1707, de Benjamin Leclerc de Buffon, conseiller au Parlement de Dijon. Il fit ses études au collège de cette ville et s’adonna surtout aux mathématiques. On raconte qu’un jour il monta sur un clocher, en descendit le long d’une corde nouée, s’écorcha les mains et ne s’en aperçut point, tant il était occupé d’une proposition de géométrie, dont la solution s’offrit à lui au milieu du périlleux exercice qu’il accomplissait machinalement. A dix-neuf ans, le hasard lui fit rencontrer un Anglais de son âge, le duc de Kingston, avec lequel il se lia et dont le gouverneur lui inspira le goût des sciences physiques. Il les accompagna en diverses parties de la France, en Italie, puis en Angleterre, et là, pour se familiariser à la fois avec la langue anglaise et les sciences, il traduisit la Statique des Végétaux de Hales, et le Traité des Fluxions de Newton. Ce fut ce dernier ouvrage que, par une méprise plaisante, des libraires inscrivirent un jour dans un catalogue de livres de médecine. Un duel que le jeune voyageur avait eu à Angers avec un Anglais qu’il blessa, avait peut-être contribué à le faire partir pour l’Angleterre. Là finit ce qu’on peut appeler la jeunesse de Buffon et commence la carrière brillante qu’il était destiné à parcourir dans les sciences. Dès-lors il entreprit une suite d’expériences ayant pour objet d’appliquer la géométrie et la physique à l’économie rurale. Il s’occupa de la force des bois et des moyens de l’augmenter, principalement en écorçant les arbres quelque temps avant de les abattre. Plus tard, excité, dit-on, par une gageure, il construisit un miroir ardent à l’exemple de ceux qu’Archimède, suivant la tradition, avait inventés pour la défense de Syracuse et parvint à incendier divers objets à deux cents pieds de distance. En 1733, Buffon à vingt-six ans était devenu membre de l’Académie des sciences. Six ans plus tard (1739), Dufay, son ami, atteint d’une maladie mortelle, écrivit au ministre que Buffon lui paraissait le seul homme capable de le remplacer dans son poste d’intendant du Jardin du Roi. Le ministre se rendit à l’avis du mourant. Cette nomination décida la nouvelle vocation de Buffon qui dès-lors se sentit appelé à devenir l’Historiographe de la Nature. Voulant réunir à la pittoresque élégance de Pline l’ancien, cette sagacité concise, lucide et presque divinatoire, qui semblent faire d’Aristote un savant du dix-huitième siècle, et la minutieuse exactitude des observations des modernes, Buffon passa dix ans à recueillir des matériaux, à s’exercer dans l’art d’écrire et eut le bon esprit de s’adjoindre Daubenton, pour les descriptions anatomiques et les travaux de détail. Au bout de ce temps, dit Condorcet, le premier volume de l'Histoire naturelle vint étonner l’Europe ! En effet, ce livre n’eût-il été recommandable que par la nouveauté paradoxale des théories, il eût encore captivé l’attention. Consacré presque d’un bout à l’autre à l’histoire de la Terre, il révélait chez son auteur, non-seulement l’imagination hardie et féconde d’un romancier, prenant pour héros de ses drames des soleils et des mondes entiers, et pour épisodes les catastrophes qui en bouleversent la face, mais encore un plan grandiose, se déroulant par une synthèse majestueuse et procédant du général au simple, de l’ensemble aux détails. Ce portique du Musée qu’allait parcourir Buffon, était fragile ; mais il était colossal. La Sorbonne, à l’apparition de cet essai d’une Genèse nouvelle, s’inquiéta et sembla vouloir user de ses armes théologiques. Buffon se hâta de la calmer par des explications, sincères sans doute, mais peu conformes à la lettre du premier chapitre de la Vulgate. L’orage fut apaisé dès sa naissance, et Buffon put tranquillement publier, de 1751 à 1767, les quatre volumes qui suivirent la Théorie de la Terre, et dont les deux premiers contiennent le développement du système de l’auteur sur la génération et l’histoire de l’Homme. Cette publication continue flattait l’orgueil de l’éloquent écrivain et aurait pu être favorable à une classification ; mais Buffon avait en horreur les méthodes, et même, plus tard, reconnaissant l'impossibilité de s’en passer, il ne les adopta qu’avec regret et incomplètement. Aussi, dans cette première série de ses ouvrages, voit-on les tomes IV et V consacrés aux animaux domestiques ; les carnassiers remplissent les quatre volumes qui suivent. De X à XIII inclusivement, il n’y a plus même l’apparence d’une classification ; enfin les Singes seuls sont le sujet des tomes XIV et XV. Il n’est pas même question de Cétacés. En revanche, quelques Chéloniens et Sauriens y usurpent la place due aux Mammifères. Il est vrai que le tout, conformément aux anciennes dénominations, s’appelle : Histoire des Quadrupèdes. Immédiatement après cet ouvrage, Buffon commença l'Histoire des Oiseaux, dont le tome Ier parut en 1770. Daubenton avait cessé d’être son collaborateur : aussi la forme de l’ouvrage fut-elle modifiée. Tandis que, jusque-là, chaque article avait été composé de deux parties distinctes, une description pittoresque des habitudes et du moral de chaque sujet, par Buffon, puis une description technique des formes et de l’anatomie par Daubenton, on se contenta d’insérer quelques descriptions très superficielles dans les articles ornithologiques. L’exactitude y perdait beaucoup. En revanche, la méthode y est meilleure et rend l’ensemble de l’Histoire des Oiseaux plus facile à saisir que celle des Quadrupèdes. Buffon se donna bientôt un collaborateur dans Guéneau de Montbéliard, qui, dès le second volume des Oiseaux, fut nommé dans la préface, et qui, à partir du tome III, signa tous les articles dont il était l’auteur, c’est-à-dire la presque totalité des articles. Guéneau, à son tour, s’ennuyant des Oiseaux, céda cette partie à l’abbé Bexon pour s’occuper des Insectes. L’année 1783 vit finir l’Histoire des Oiseaux avec le IXe volume. Buffon, vers le même temps, mettait au jour le premier tome de ses Minéraux, auquel il avait constamment travaillé seul, et dont il continua la publication ( en tout cinq volumes ) pendant les années subséquentes (1784-88). Six autres volumes, sous le titre de Suppléments, avaient paru de 1774 à 1782, et un septième fut publié, en 1789, après la mort de Buffon. Les deux premiers roulent sur des expériences et contiennent plusieurs mémoires sur le fer, le bois, etc. Le quatrième et les deux derniers ont pour objet les Quadrupèdes : le quatrième est consacré à l’Homme ; mais le cinquième forme un ouvrage totalement à part et le plus remarquable peut-être de tous ceux de Buffon. Il y reprend sa Théorie de la Terre, la modifie, la corrobore par de nouveaux arguments, l’expose avec une force de paralogisme et une puissance de style auxquelles il est souvent difficile de résister. « Il ne peut y avoir, selon Cuvier, qu’une opinion sur Buffon, considéré comme écrivain. Pour l’élévation du point de vue où il se place, pour la marche forte et savante de ses idées, pour la pompe et la majesté de ses images, pour la noble gravité de ses expressions, pour l’harmonie soutenue de son style dans les grands sujets, il n’a peut-être été égalé par personne. On lui reproche un certain défaut de flexibilité, et cependant il a souvent réussi à rendre les détails avec une grâce enchanteresse. Les réflexions morales, par lesquelles il cherche à varier la monotonie d’un sujet, quelquefois aride, montrent presque partout une sensibilité profonde ; enfin ses tableaux des grandes scènes de la nature sont d'une vérité parfaite et empreints chacun d’un caractère propre et ineffaçable : aussi la réputation de son livre fut-elle prompte, générale et sans contradicteurs. » Les hommes distingués de toutes les nations rendirent à l’auteur des hommages unanimes. Des souverains étrangers lui prodiguèrent les témoignages de leur considération, et il jouit de la plus grande faveur près du gouvernement français. Louis XV érigea sa terre terre de Buffon en comté. D’Angivilliers, surintendant des bâtiments sous Louis XVI, fit élever à Buffon, de son vivant, une statue à l’entrée du cabinet du roi, avec cette inscription fameuse : Majestati naturæ par Ingexium (Génie majestueux et immense comme la Nature), Si l'on excepte quelques critiques, aucune voix ne troubla ce concert d’éloges. On a été plus divisé sur le mérite de Buffon comme naturaliste. Voltaire, d’Alembert, Condorcet, ont jugé sévèrement ses hypothèses et cette manière vague de philosopher, d’après des aperçus généraux de l’esprit, sans calculs et sans expériences. Plusieurs naturalistes étrangers ont attaqué avec aigreur certaines erreurs de détails qui lui sont échappées, et l’éloignement qu’il témoigne pour les méthodes de nomenclature, sans rendre assez de justice à l’étonnante quantité de faits dont il a enrichi la science. Quoique ces reproches ne soient pas sans quelque fondement, il s’y trouve certainement aussi de l’exagération. Personne, à la vérité, ne peut plus soutenir dans leurs détails ni le premier ni le second système de Buffon sur la Théorie de la Terre. Cette comète qui enlève des parties du Soleil ; ces planètes, vitrifiées et incandescentes, qui se refroidissent par degrés, et les unes plutôt que les autres ; ces êtres organisés qui naissent successivement à leur surface, à mesure que leur température s’adoucit, ne peuvent plus passer que pour des jeux d’esprit. Mais Buffon n’en a pas moins le mérite d’avoir fait sentir généralement que l’état actuel du globe résulte d’une succession de changements dont il est possible de saisir les traces, et c’est lui qui a rendu tous les observateurs attentifs aux phénomènes, d’où l’on a pu remonter à ces changements. Son système sur les molécules organiques et sur le moule intérieur, pour expliquer la génération, outre l’obscurité et l’espèce de contradiction dans les termes qu’il présente, paraît directement réfuté par les observations modernes et surtout par celles de Haller et de Spallanzani ; mais son éloquent tableau du développement physique et moral de l’homme n’en est pas moins un très beau morceau de philosophie digne d’être mis à côté de ce que l’on estime le plus dans le livre de Locke. Il a eu le tort de vouloir substituer à l’instinct des animaux une sorte de mécanisme plus inintelligible peut-être que celui de Descartes ; mais ses idées concernant l’influence qu'exercent la délicatesse et le degré de développement de chaque organe sur la nature des diverses espèces, sont des idées de génie qui feront désormais la base de toute histoire naturelle philosophique et qui ont rendu tant de services à l’art des méthodes qu’elles doivent faire pardonner à leur auteur le mal qu’il a dit de cet art. Enfin ses idées sur la dégénération des animaux et sur les limites que les climats, les montagnes et les mers, assignent à chaque espèce, peuvent être considérées comme de véritables découvertes, qui se confirment chaque jour et qui ont donné aux recherches des voyageurs une base fixe, dont elles manquaient absolument auparavant. La partie de son ouvrage la plus parfaite, celle où il restera toujours l'auteur fondamental, c’est l'Histoire des Quadrupèdes. Avant lui, on n’avait, pour ainsi dire, que des notions fausses et embrouillées des quadrupèdes étrangers. Le plan qu’il conçut de faire décrire isolément et en détail chaque espèce et d’en soumettre l’histoire à une critique sévère, a servi de modèle à tout ce qu’on a fait de bon depuis lors sur l’histoire naturelle. En même temps qu’il travaillait à son livre, Buffon s’érigeait encore un autre monument. Il enrichissait le Jardin et le Cabinet confiés à ses soins, par une administration active, en cultivant la faveur des ministres et en déposant dans ces établissements les dons que lui offraient ses admirateurs et que les ennemis mêmes de la France se seraient fait scrupule d’intercepter. Pendant la guerre entre les Anglais et leurs colonies de l’Amérique, on vit des corsaires renvoyer à Buffon des caisses à son adresse et retenir celles du roi d’Espagne. Le goût général pour l’histoire naturelle, que l’ouvrage de Buffon fit naître, la protection qui en résulta pour cette science de la part des souverains, sont encore des services qu’il a rendus à l’humanité tout entière et des bienfaits dont le souvenir s’attachera toujours à son nom. Partagé entre le Jardin du roi et sa campagne de Montbard, toujours livré au travail, ne s’en délassant que par des plaisirs faciles à se procurer ; recevant volontiers des hommages, mais ne se donnant, pour les obtenir, d’autres soins que ceux qu’exigeaient ses travaux ; étranger aux cabales qui agitaient l’état et la littérature ; ne répondant jamais aux critiques et assurant son repos par des prévenances envers les hommes et les corps en crédit, il mena une vie tranquille et heureuse. Buffon était d’une figure noble et d’une taille imposante, qu’il relevait encore par sa contenance. On a dit que, dans sa vie privée, il affectait une représentation qui convenait peu à sa naissance et dont ses études et sa renommée n’auraient pas dû lui laisser le goût. On a remarqué que, consacrant à ses travaux toutes les forcer de son esprit, il portait dans la société une simplicité de langage peu d’accord avec le ton de ses livres. On l’a accusé aussi d’avoir mieux aimé s’entourer d’admirateurs que de juges, et d'a\oir fini par se complaire trop exclusivement dans ses propres écrits ; mais il faut du moins lui rendre cette justice qu’il n’a point laissé paraître ces dernières dispositions dans ses ouvrages. Il y conserva partout cette dignité qu’un homme qui parle en public ne devrait jamais perdre. De longues souffrances, causées par la pierre, troublèrent les dernières années de Buffon, mais sans interrompre ses travaux et sans l’empêcher de poursuivre l’exécution de son vaste plan. Il mourut à Paris, le 16 avril 1788, âgé de quatre-vingt et un ans, laissant d’un mariage contracté en 1762, un fils, qui avait toujours montré pour son père une vénération qui était devenue une sorte de culte, au point de lui élever, de son vivant, une colonne près de la tour dans laquelle Buffon se retirait ordinairement pour travailler, à Montbard. Colonel de cavalerie et enveloppé dans la proscription des nobles, il périt, victime de la révolution, quinze jours seulement avant le 9 thermidor. En montant sur l’échafaud, il s’écria: « Je me nomme Buffon !» Y. Parisot, Voir aussi sa statue érigée dans la cour Napoléon du Louvre
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