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Les deux fils d’un pauvre paysan de la Picardie, les deux frères Haüy, dans des carrières différentes, ont pris rang parmi les hommes les plus utiles de la génération qui nous a précédés. Si l’illustration de l’aîné, du créateur de la Cristallographie, du vénérable et irréprochable Haüy (René Just), a été plus brillante que celle de son frère Valentin, on reconnaîtra sans doute que ce dernier, pour avoir fait en faveur des Aveugles autant que l’abbé de l’Épée pour les Sourds-Muets devait obtenir, en raison de la spécialité de notre recueil, la première place dans le groupe où sont reproduits les traits de ces deux Amis de l'humanité, Haüy( René Just) naquit, le 28 février 1743, au village de Saint-Just, dans le département de l’Oise. Fils d’un pauvre tisserand, il aurait probablement embrassé la profession de son père, si des personnes généreuses qui avaient remarqué en lui des dispositions à s’instruire n’eussent pris soin de son éducation. Il y avait alors à Saint-Just une abbaye : Haüy, encore enfant, suivait assidûment les cérémonies religieuses et montrait beaucoup de goût pour les chants d’église. Il attira l’attention du prieur qui le fit venir, l’interrogea et, frappé du développement de son intelligence, lui fit donner des leçons par quelques religieux. Les progrès du jeune Haüy furent si rapides que ses maîtres engagèrent sa mère à le conduire à Paris, où ils présumaient qu’il trouverait facilement les moyens de continuer ses études. Cette mère courageuse suivit ce conseil, et sans se rebuter des obstacles, sans s’épouvanter d’un voyage dans une grande ville où elle se trouverait sans ressources, elle partit avec son fils pour lequel, après une longue attente, elle obtint une place d’enfant de chœur. Plus tard, il fut admis comme boursier dans le collège de Navarre. Là, sous des professeurs habiles, il parvint assez promptement au plus haut degré de savoir exigé pour des études régulières et complètes. Quoique très jeune encore, il reçut de ses supérieurs la mission d’enseigner ce qu’ils lui avaient appris. A vingt-et-un ans, il fut régent de quatrième et bientôt après il devint régent de seconde au collège du cardinal Lemoine. Son goût pour les sciences naturelles ne tarda pas à se développer ; et aussitôt qu’il eut prit les ordres sacrés, il s’appliqua d’abord à la botanique. Son premier maître, dans cette science, fut son ami, le vénérable Lhomond, l’auteur du Rudiment, plus connu comme grammairien que, comme botaniste. Le collège du cardinal Lemoine était près du Jardin des Plantes : Haüy allait souvent visiter ce précieux dépôt de toutes les richesses végétales. Un jour voyant la foule des auditeurs qui se pressaient pour assister à une leçon de Daubenton sur la minéralogie, il voulut entendre ce professeur et fut charmé de trouver dans cette branche des sciences naturelles, des sujets d’études qui se rattachaient encore plus directement que les produits de la végétation à son goût pour la physique. La comparaison des plantes et des minéraux fit naître dans son esprit une suite de réflexions qui préparèrent ses découvertes en Cristallographie. Plein de ces idées, il examinait quelques minéraux chez un de ses amis, M. de France, maître des requêtes, lorsqu’il laissa tomber un beau groupe de spath calcaire cristallisé en prismes ; quelques fragments détachés du groupe se présentèrent sous l’apparence d’un cristal nouveau d’une forme régulière, lisse sur toutes les faces. Haüy aperçoit avec surprise que cette forme est précisément celle des cristaux rhomboïdes du spath d’Islande, «Tout est trouvé !» s’écria-t-il aussitôt dans l’enthousiasme de sa découverte. Daubenton et Laplace l’encouragèrent à en faire part à l’Académie des sciences ; mais Haüy était trop modeste pour se décider tout-à-coup à paraître sur un si grand théâtre ; il ne céda qu’à des sollicitations réitérées, et la première fois qu’il se rendit au Louvre, où l’illustre compagnie tenait ses séances, il s’y montra comme dans une cérémonie ecclésiastique, revêtu du costume prescrit par les canons. Sa théorie, qu’il exposa avec une lucidité remarquable, lit une profonde sensation. L’importance de ses travaux fut justement appréciée, et l’Académie s’empressa de l’admettre dans son sein. Haüy s’occupa sans relâche de rassembler tous les faits de la science dont il était le créateur. Sa seule ambition était de ne pas la laisser imparfaite ; et tout entier au but qu’il poursuivait, il restait étranger à tout ce qui n’était pas de la cristallographie. Ce fut dans cet isolement que les évènements de la Révolution le surprirent. Déjà la Bastille était tombée, et la monarchie était sur le penchant de l’abîme qui allait l’engloutir, lorsqu’on fit à l’abbé Haüy l’injonction de prêter serment à la constitution civile du clergé. Haüy, sans trop savoir ce qu’on exigeait de lui, refusa, parce que, dans le monde où il vivait, il entendait dire que sa conscience l’obligeait à ce refus. Il fut alors privé de tous ses emplois, et bientôt après il fut incarcéré dans le séminaire de Saint-Firmin converti en prison. Quand on se présenta pour l’arrêter, on lui demanda s’il n’avait point d’armes à feu. « Je n’en ai point d’autres que celles-ci » dit-il, en tirant une étincelle de sa machine électrique. On saisit ses papiers où il n’y avait que des calculs mathématiques ; on culbuta sa collection qui était sa seule propriété. Haüy ne parut pas soupçonner un seul instant le danger de sa position. A peine installé dans son habitation nouvelle, il ne songea qu’à se faire apporter ses tiroirs, afin de mettre ses cristaux en ordre. Heureusement il avait des amis au dehors. Un de ses élèves, devenu depuis son collègue, M. Geoffroy-Sainl-Hilaire, logeait alors au collège du cardinal Lemoine. A peine instruit du sort de son maître, il court implorer toutes les personnes qu’il croit pouvoir le servir ; enfin l’Académie l’ayant réclamé, on obtint un ordre de délivrance. M. Geoffroy court le porter à Saint-Firmin, mais il était tard ; rien ne put décider Haüy à sortir le soir même. « Je sortirai demain matin, disait-il ; au moins j’aurai encore une fois dit la messe avant de sortir de cette maison. » Le lendemain, il fallut presque l’entraîner de force : le surlendemain fut le 2 septembre. Soustrait, en quelque sorte malgré lui, aux massacres de cette terrible journée, Haüy ne fut plus inquiété : une fois seulement on le fit comparaître à la revue de sa section ; mais il fut réformé sur-le-champ, à cause de sa mauvaise mine. Au fort de la Terreur, les faveurs du gouvernement lui furent rendues, quoiqu’il n’eût rien fait pour les obtenir. La Convention le nomma membre de la commission des poids et mesures et conservateur du cabinet des mines. Quand Lavoisier fut arrêté, que Borda et Delambre furent destitués, Haüy seul osa écrire en leur faveur. Ce fut à sa sollicitation que ces deux derniers furent réintégrés. A la mort de Daubenton, l’Académie voulut désigner l’abbé Haüy pour son successeur ; mais il sollicita lui-même pour faire nommer Dolomieu, retenu alors, contre le droit des gens, dans les cachots de Naples. Cette démarche de l’abbé Haüy eut tout le succès qu’il s’en était promis ; mais Dolomieu, rendu à sa patrie, fut enlevé par une mort prématurée. Sa place fut donnée à Haüy, avec celle de professeur de minéralogie. Dès ce moment l’enseignement de la minéralogie prit une vie nouvelle. Haüy mit tant de zèle à compléter les collections qu’en peu d’années il les quadrupla. On admirait surtout l’ordre qu’il y avait introduit, en s’étonnant de la justesse de ses classifications, toujours en harmonie avec les découvertes les plus récentes. Peu de professeurs avaient encore montré un aussi grand dévouement à la science qu’il rendait facile et attrayante par la clarté, par l’élégance de ses leçons, autant que par sa bienveillante complaisance. Il faisait venir les élèves de l’Ecole normale dans son cabinet, s’abandonnant avec eux à cette noble familiarité qui, jointe à une certaine réserve, est un puissant encouragement pour la jeunesse. L’abbé Haüy, chevalier de la Légion d’honneur, était membre de l’Institut, section de minéralogie ; professeur de minéralogie au jardin des Plantes, et à la Faculté des Sciences de Paris ; conservateur des collections minéralogiques de l’école des mines, chanoine honoraire de la Métropole. Sa réputation était devenue européenne. Les hommes instruits de tous les pays s’empressaient de lui apporter leur respect et leurs hommages. Peu de savants ont allié un mérite plus étendu à plus de modestie. Haüy était d’une constitution si faible qu’il avait entendu dire dans sa première jeunesse par son médecin, Mazéas : « voilà un homme qui ne passera pas l’année. » Cette prédiction heureusement ne s’accomplit pas : Haüy parvint jusqu’à l’âge de soixante-dix-neuf ans. Il expira le 3 juin 1822. L’illustre Cuvier, dans le discours funèbre qu’il prononça sur la tombe d’Haüy, caractérise ainsi la découverte due à ce dernier : « Il dévoila la secrète architecture de ces productions mystérieuses où la matière inanimée paraissait offrir les premiers mouvements de la vie ; où il semblait qu’elle prît des formes si constantes et si précises par des principes analogues à ceux de l’organisation. Il sépare, il mesure, par la pensée, les matériaux invisibles dont se forment ces étonnants édifices. Il les soumet à des lois invariables ; il prévoit par le calcul les résultats de leur assemblage, et parmi des milliers de ces calculs, aucun ne se trouve en défaut. Depuis ce cube de sel que chaque jour nous voyons naître, sous nos yeux, jusqu’à ces saphirs et ces rubis que des cavernes obscures cachaient en vain à notre luxe et à notre avarice, tout obéit aux mêmes règles ; et parmi les innombrables métamorphoses que subissaient tant de substances, il n’en est aucune qui ne soit consignée d’avance dans les formules de M. Haüy. Comme on a dit avec raison qu’il n’y aura plus un autre Newton, parce qu’il n’y a pas un second système du monde, on peut aussi, dans une sphère plus restreinte, dire qu’il n’y aura point un autre Haüy, parce qu’il n’y aura pas une deuxième structure de cristaux, Semblables encore à celles de Newton, les découvertes de M. Haüy, loin de perdre de leur généralité avec le temps, en gagnent sans cesse. » Belles paroles, qui n’ont point empêché d’abandonner aux Anglais l’admirable et si regrettable collection du créateur de la Cristallographie !. Les principaux ouvrages de Haüy sont ses Traités de Cristallographie et de Physique (1784 - 1806) et Minéralogie, dont la 2e édition, posthume, a été rédigée (1822 - 1823) presque entièrement sur de simples notes du professeur, par son élève chéri, M. Gabriel Delafosse, de l’École normale, qui, par une sorte de fatalité pour la doctrine de son maître, a hérité, en même temps, de la modestie comme de la science de son vénérable ami ! Haüy (Valentin), était né, comme son frère, à Saint-Just, le 13 novembre 1746. Etant venu à Paris, il y établit une École de Calligraphie, et donnait en même temps des leçons en ville. Ainsi qu’il nous l’apprend lui-même, un singulier hasard en fit le fondateur de l’institution des Jeunes Aveugles. En 1783, mademoiselle Paradis, aveugle, célèbre pianiste de Vienne, vint donner des concerts à Paris. Avec des épingles placées en forme de lettres sur de grandes pelotes, elle lisait rapidement, de même qu’elle expliquait la géographie par le moyen de caries en relief, dont l’invention était due à un autre célèbre aveugle, Weissembourg de Mannheim. Ayant eu occasion d’entendre mademoiselle Paradis, Haüy comprit tout le parti que l’on pouvait tirer de cette ingénieuse, méthode pour l’enseignement des infortunés qui sont privés de la vue. Dès-lors il tourna toute son attention vers un objet si utile, et publia, en 1786, une brochure sur les Moyens d’instruire les Aveugles. Ayant cherché un aveugle intelligent pour commencer ses expériences, il le trouva à la porte de l’église de Saint-Germain-des-Prés : c’était un aveugle-né, qui demandait l’aumône pour secourir sa vieille mère ; il était de Lyon et se nommait Lesueur. Haüy l’emmena dans sa maison, l’instruisit pendant quelques semaines, et le présenta ensuite à la Société philanthropique, qui, satisfaite de ce premier essai, donna à Haüy des fonds et une maison située rue Notre-Dame-des-Victoires, pour y former son établissement où il devait admettre douze élèves. Ce curieux ouvrage est imprimé en relief, de manière que, dans les exemplaires qui n’ont point passé sous le marteau du relieur, les aveugles puissent lire en promenant le bout des doigts sur les lignes. Malheureusement ; en 1790, on réunit les aveugles avec ces derniers dans le même établissement, et il en résulta une certaine mésintelligence non-seulement entre les chefs, mais entre les élèves eux-mêmes de ces deux institutions. L’Assemblée Constituante ordonna, en 1791, que les deux écoles seraient entretenues aux frais de l’état, et le nombre des élèves porté à 86. Cependant les deux institutions furent encore séparées après la révolution du 9 thermidor (27 juillet 1794). On plaça les sourds-muets au séminaire de Saint-Magloire, rue du faubourg Saint-Jacques, et les aveugles à la maison de Sainte-Catherine, rue des Lombards. Valentin Haüy, qui était naturellement bon et bienfaisant, mais qui. avait une imagination vive, un esprit prompt à s’exalter, se montra sous le directoire, grand partisan des cérémonies théophilanthropiques ; il y conduisait ses élèves et y faisait entendre leurs chants. On prétend même que c’est son attachement aux principes démocratiques qui le fit éloigner par Bonaparte de l’établissement dont il était le père plutôt que le fondateur. Quoi qu’il en soit, le gouvernement consulaire confina les Aveugles-Travailleurs à l’hospice des Quinze-Vingts, où ils demeurèrent pendant quatorze ans, et l’on accorda à Haüy une pension de 2,000 francs. Il forma alors, rue Sainte-Avoye, un pensionnat auquel il donna le nom de Musée des Aveugles, mais qui ne prospéra pas. Fatigué de tant de contrariétés, il partit pour Saint-Pétersbourg, où il établit un pensionnat d’aveugles. L’empereur lui conféra l’ordre de Saint-Wladimir ; mais son établissement n’ayant pas eu le succès qu’il en espérait, il se rendit à Berlin et en forma un autre. Enfin il revint en France, en 1806, et trouva un refuge dans la maison de son frère. Valentin Haüy mourut peu de jours avant son frère, le 19 mars 1822. Ses obsèques eurent lieu à Saint-Médard, où les aveugles ses élèves exécutèrent une messe de Requiem de la composition d’un d’entre eux.
G. S. Trebutien,
Article Wikipedia sur René Just Haüy
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